Crypto mining illégal en Iran: l’implication des Gardiens de la Révolution (IRGC)

Crypto mining illégal en Iran: l’implication des Gardiens de la Révolution (IRGC) mars, 12 2025

Le minage cryptomonnaie Iran ne se limite pas à une activité techno‑ludique; il est devenu un levier de contournement des sanctions et un véritable fardeau pour le réseau électrique national. Derrière les fermes de serveurs qui broutent l’électricité à prix cassé se cache un acteur militaire puissant : le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (IRGC). Depuis 2019, l’IRGC a transformé le minage en une opération quasi‑monopolistique, mêlant coopération sino‑iranienne, exploitation d’infrastructures militaires et obscurcissement juridique.

Contexte : sanctions internationales et recherche de nouvelles sources de revenus

Après la réimposition des sanctions américaines en 2018, l’Iran a vu ses flux de dollars se tarir. Iran a alors cherché des alternatives pour financer le régime et ses programmes balistiques. La crypto‑monnaie, grâce à son anonymat et à l’absence d’intermédiaires, s’est présentée comme une solution attractive. Le gouvernement a d’abord légalisé le minage en 2019, mais la licence officielle était réservée à une poignée d’entreprises qui devaient vendre leurs bitcoins à la Banque Centrale d’Iran à un tarif forfaitaire, rendant l’activité peu rentable pour les acteurs privés.

Comment l’IRGC a pris le contrôle du minage

L’entrée de l’IRGC dans le secteur s’est faite progressivement, d’abord par des accords avec des sociétés chinoises spécialisées dans le matériel de minage ASIC. Un projet phare est la ferme de 175MW à Rafsanjan, province de Kerman, présentée comme une joint‑venture entre une entreprise affiliée aux Gardiens et des investisseurs étrangers. La localisation dans une zone économique spéciale, sous protection militaire, garantit un accès quasi gratuit à l’électricité et une impunité vis‑à‑vis des autorités civiles.

Les bonyads - fondations caritatives contrôlées par le Guide suprême - jouent également un rôle clé. Astan Quds Razavi, l’une des plus grosses, a été décrite comme membre d’un «cartel de cryptomonnaies» qui utilise les réseaux de distribution d’énergie du ministère de l’Énergie pour alimenter les fermes.

Taille et impact énergétique du phénomène

Les estimations les plus récentes comptent environ 180000 appareils de minage actifs en Iran. Sur ces dispositifs, 80000 sont détenus par des mineurs privés, tandis que les 100000 restants appartiennent à des entités étatiques ou quasi‑étatiques, dont l’IRGC. Chaque ASIC consomme entre 1,2kW et 3,5kW, ce qui fait de ces installations des gouffres d’énergie. En 2022, le Parlement a adopté une loi secrète autorisant le militaire à créer ses propres centrales et lignes de transmission, détournant ainsi des mégawatts destinés aux villes et aux usines vers les fermes clandestines.

Le résultat est visible : les coupures d’électricité, déjà fréquentes à cause d’une infrastructure vieillissante, se sont aggravées. Les habitants de Téhéran, d’Abadan ou de Mashhad racontent des pannes de plusieurs heures, voire de jours, alors que les serveurs de l’IRGC fonctionnent 24h/24. En termes de consommation nationale, le minage illégal représente entre 15% et 20% du total, un chiffre qui explose chaque année.

Le cadre légal : entre licence officielle et exploitation illégale

Le ministère de l’Industrie, des Mines et du Commerce délivre les licences, mais celles‑ci imposent des tarifs d’électricité élevés (environ 0,15$/kWh) et obligent les mineurs à vendre leurs bitcoins à la Banque Centrale à un prix fixé. Cette contrainte pousse la majorité des acteurs privés hors du cadre légal, les incitant à «minage souterrain» ou à rejoindre les réseaux de l’IRGC qui opèrent dans une zone grise, où la licence n’est ni demandée ni contrôlée.

Le paradoxe est que l’État sanctionne formellement le minage illégal tout en protégeant ses propres exploitations. Les forces de sécurité, souvent des unités de l’IRGC, interviennent contre les mineurs privés qui osent rivaliser, tandis que les fermes militaires bénéficient d’immunité totale.

Conséquences pour la population et l’économie

Conséquences pour la population et l’économie

Le prix de l’électricité pour les foyers a grimpé de 30% en trois ans, un gouffre supplémentaire dans un contexte d’inflation galopante. L’énergie gaspillée par le minage ne bénéficie à personne, mais finance les portefeuilles numériques qui irriguent les réseaux de milices et les programmes de missiles balistiques. Le ministre de l’Énergie, AliAbadi - ancien commandant de l’IRGC - a notamment qualifié le vol d’électricité «une main qui s’insère dans les poches d’autrui», révélant le conflit d’intérêts inhérent.

Sur le plan international, les autorités américaines et israéliennes ont gelé plusieurs adresses Bitcoin liées à l’IRGC, suspectées de financer le Hamas et le Hezbollah. Les analyses de chaînes de blocs montrent que l’Iran figure parmi les cinq plus grands producteurs de Bitcoin, grâce en grande partie à ces fermes militarisées.

Réponses internationales et sanctions ciblées

Le Département du Trésor des États‑Unis a ajouté en 2023 des sanctions spécifiques contre les portefeuilles de l’IRGC, interdisant aux banques américaines d’effectuer des transactions avec eux. L’Union européenne, par son cadre «AML», renforce la surveillance des échanges crypto, mais la contournation reste massive grâce aux VPN et aux plateformes locales comme Nobitex, qui autorise les Iraniens à acheter du Bitcoin en échange de rials, tout en imposant des contrôles stricts.

En décembre2024, la Banque Centrale d’Iran a bloqué toutes les conversions directes crypto‑riyal via les sites web nationaux, mais dès janvier2025 a levé partiellement les restrictions pour les échanges agréés, introduisant un API qui collecte les données des utilisateurs. Cette manœuvre montre que le régime préfère contrôler le flux plutôt que l’éliminer.

Tableau comparatif : minage licencié vs minage géré par l’IRGC

Différences clés entre le minage officiel et le minage sous contrôle de l’IRGC
Aspect Minage licencié Minage IRGC (non licencié)
Accès à l’électricité Tarif subventionné mais payant (≈0,15$/kWh) Électricité gratuite ou subvention maximale via réseaux militaires
Localisation Zones industrielles civiles, obligations de connexion au réseau public Zones économiques spéciales, bases militaires, sites isolés
Contrôle réglementaire Inspection du ministère, rapports mensuels à la Banque Centrale Aucune surveillance civile, protection armée de l’IRGC
Rentabilité Marge étroite, dépendance au prix du Bitcoin Profit élevé grâce à coûts d’énergie quasi nuls
Impact sociétal Peut contribuer aux pertes de charge locales Cause des coupures massives et hausse du prix du kWh

Perspectives et scénarios futurs

Deux scénarios semblent plausibles. Le premier envisage une régulation stricte : le gouvernement pourrait renforcer le suivi via le nouveau API de la Banque Centrale, imposer des quotas d’énergie et confisquer les installations illégales. Cependant, tant que l’IRGC maintient son influence politique, la mise en œuvre restera superficielle.

Le deuxième scénario anticipe une escalade des sanctions internationales, poussant l’IRGC à cacher davantage ses opérations derrière le darknet et à diversifier les crypto‑actifs (Ethereum, Monero) afin d’atténuer le risque de gel des portefeuilles. Dans ce cas, la population iranienne continuerait à subir les pénuries d’électricité, tandis que le régime capitaliserait sur des profits cryptographiques toujours plus opaques.

Quel que soit le chemin, le lien entre le minage illégal, le contrôle militaire et la crise énergétique restera le maillon faible du système iranien. Observateurs, journalistes d’investigation et analystes de blockchain devront suivre de près les nouvelles adresses de portefeuille, les changements législatifs et les fuites d’information provenant des réseaux internes du régime.

Foire aux questions

Foire aux questions

Pourquoi l’IRGC s’intéresse‑t‑il au minage de cryptomonnaies?

Le minage offre une source de revenus directement convertible en devises non soumises aux sanctions, ce qui permet de financer les programmes militaires et les projets d’influence régionale sans passer par le système bancaire traditionnel.

Quel est l’impact réel sur la consommation d’électricité du pays?

Les exploitations de l’IRGC consomment entre 15% et 20% de la production électrique nationale, aggravant les coupures et augmentant le tarif moyen du kWh pour les foyers de 30% en trois ans.

Comment les autorités iraniennes différencient‑elles le minage «licencié» du minage «illégal»?

Le ministère délivre des licences qui obligent les opérateurs à payer des tarifs d’électricité élevés et à vendre leurs bitcoins à la Banque Centrale. Toute installation qui fonctionne hors de ce cadre, notamment dans les bases militaires, est considérée comme non licenciée.

Existe‑t‑il des alternatives pour les Iraniens qui souhaitent miner légalement?

Oui, mais elles sont limitées: il faut obtenir une licence, accepter le tarif d’électricité élevé et se conformer aux exigences de vente à la Banque Centrale, ce qui rend l’opération peu rentable dans le contexte actuel.

Quelles mesures internationales pourraient freiner le minage de l’IRGC?

Le gel des adresses de portefeuille, l’interdiction d’accès aux équipements ASIC par les fournisseurs étrangers et une pression accrue sur les partenaires chinois pourraient réduire la capacité de l’IRGC à exploiter le minage à grande échelle.